Ibrahim Maalouf. Le tapis volant.

Ibrahim Maalouf. Le tapis volant.

Ibrahim Maalouf et les enfants de Vienne. Il y avait dans ma maison d’enfance un lieu magique entre tous, un monde à part que nous arpentions avec voracité, mon frère et moi, dans notre apprentissage de petits garçons. Au milieu de la salle à manger trônait, sombre comme un coffre au trésor, une grande table de chêne sur laquelle se faisaient les grands repas. Outre les panneaux coulissants qui cachaient sous l’épais plateau les couverts de fête, elle avait , reliant ses pieds à quelques centimètres du sol, une longue et large barre  sur laquelle nous glissions sans fin, tournant autour du meuble pour reprendre le départ comme les enfants rejoignent en courant l’échelle du toboggan. A plat ventre sur cette passerelle, nous survolions alors le tapis persan, nous délectant du vertige que nous causait ce monde fantasmagorique. Probablement, ce tapis n’avait de persan que le décor et n’était qu’un lointain ersatz des merveilles qu’Ispahan ou Kashan produisaient au XVIe siècle, mais nous avons passé de longues heures à pousser nos billes entre ses fleurons, déambulant dans ce jardin cosmique, transportés par notre seul bon vouloir aux quatre coins du monde, voire au-delà. Le tapis magique, que la Mythologie Perse attribue à un cadeau de la Reine de Saba au Roi Salomon, fait partie de ces personnages incontournables de notre imaginaire des Mille et Une Nuits. Avec lui, le héro se joue de l’apesanteur et parcourt le monde, protégé dans ce jardin symbolique qui voyage dans l’univers et le contient tout entier. Cet espace du rêve est le cadeau de l’enfance, l’espace du tout-est-possible qui nous fait grandir en...