Thomas Dutronc. La guinguette

Thomas Dutronc. La guinguette
Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Éric Legnini, Thomas Dutronc, Julien Herné, Stochelo Rosenberg, Maxime Zampieri et Rocky Gresset.

Crayon noir & Posca sur Kraft.

« Guinguette Manouche », c’est le titre qui s’affiche sur le fond de scène du concert de Thomas Dutronc.

La guinguette est à la mode. Tombée en désuétude dans les années 60 lorsque l’on interdit les baignades dans les rivières (1), elle a repris du poil de la bête vingt ans après, redevenant carrément tendance récemment. Mais le public en a quelque peu changé. Plutôt populaire à ses débuts, lorsque ces petits estaminets pullulaient aux barrières de Paris, échappant ainsi à l’octroi (2), ils ont désormais la sympathie d’un public plus aisé, trop content de pouvoir s’encanailler pour pas cher.  Car il reste des origines sa connotation sulfureuse, cette plongée dans l’esprit de ce qui était la Zone peuplée d’Apaches, cette bande de terre non aedificandi de 250 m sur 34 km située en avant des enceintes de Thiers, obsolète depuis 1871 et l’évolution de l’artillerie. L’interdiction de construire sur cette ancienne zone de tir de canon n’empêche pas l’installation de tout un peuple de cabanes, roulottes et logements de fortune dans lesquels s’entassent jusqu’à trente mille zoniers, des ouvriers chassés de Paris par la gentrification Haussmannienne, pour la plupart, mais aussi des paysans victimes de l’exode rural. C’est sur cet emplacement des anciennes fortif’ que la famille Reinhardt vient s’installer dans les années 20. Ils rejoignent ainsi la multitude des petits métiers de misère, chiffonniers, éboueurs, rémouleurs, marchands ambulants, ceux qui sont déjà au boulot lorsque « Paris s’éveille » (3). Il y a aussi des musiciens, pour faire danser la capitale ou divertir des dîneurs. Le prodige Jean Reinhardt y trouvera rapidement un univers à la mesure de son talent, donnant à son surnom tout son sens : Django, « je réveille ». Le jazz manouche est en train de conquérir le monde.

 

« Guinguette Manouche », c’est le titre qui s’affiche sur le fond de scène du concert de Thomas Dutronc, un calicot parsemé de guirlandes de couleur dans le délicieux style vintage de l’inscription magique. Le « fils-de » (4) aura pris le temps de l’apprentissage chez les légendes de la guitare manouche - Romane, puis Bireli Lagrène – avant de connaître vraiment le succès en 2007 avec son album Comme un Manouche sans guitare (5), qui met enfin en avant ses talents de chanteur. Et je dois reconnaître qu’il a eu raison. Pourtant peu enclin à porter aux nues la chansonnette dans un festival de jazz, l’exercice a le mérite de retourner aux sources : le divertissement. Et dans cet exercice, le concert est une réussite. Entouré de musiciens fantastiques – le discret Rocky Gresst, le virtuose Stochelo Rosenberg ou la violoniste Aurore Voilqué – Thomas Dutronc enflamme le théâtre dans un spectacle orchestré par le très inspiré pianiste Éric Legnini. L’esprit guinguette tient ses promesses, et on oublie le théâtre bondé de 7500 personnes pour ne voir que le petit groupe sous le calicot, presque assis sur des chaises de camping. C’est un orchestre des amis où bataille et conversation alternent avec bonheur sur les titres de l’enfant de la balle. Les virtuoses étaient passés en première partie, avec le maître Bireli Lagrène flanqué de l’explorateur Ulf Wakénius et du très folk Martin Taylor pour un Great Guitars stupéfiant ! L’élève n’aura pas démérité, en donnant au jazz manouche une nouvelle couleur. Un renouveau de la guinguette, un peu moins authentique, certes, mais délicieusement canaille.

 

  • Pour des raisons d’hygiène, la qualité de l’eau s’étant fortement dégradée dans les années 1960-1970, et des risques de noyade dus entre autres au trafic des péniches.
  • La taxe, remontant au Moyen Age, sur toutes les marchandises entrant dans la ville.
  • Il est cinq heures, Paris s’éveille. Titre du tube de Jacques Dutronc sorti en 1968 (Vogue)
  • Pour ceux qui ne le sauraient pas (mais qui ?), Thomas Dutronc est le fils de Jacques Dutronc et Françoise Hardy.
  • Comme un manouche sans guitare, titre éponyme du premier album de Thomas Dutronc sorti en 2007 (ULM/ Universal Music). Écouter le titre.

 

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Thomas Dutronc

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Ulf Wakenius, Martin Taylord & Bireli Lagrène