Randy Weston & Lisa Simone. Invoquer les ancêtres.

Randy Weston & Lisa Simone. Invoquer les ancêtres.

r20160704_RandyWestonAlexBlakeNeilClarkeTKBlueBillyHarperRandy Weston, Alex Blake, Neil Clarke TD Blue & Billy Harper

 

 

« Celui qui vient du pays des hommes noirs ». C’est ainsi qu’on nommait le gnaoua, cet esclave de l’Afrique subsaharienne déporté par les Arabes vers le Maghreb. Tout comme d’autres sur d’autre continent, les gnaouas - ou gnawas - ont emmené avec eux leur culture, et surtout leur rite d’adorcisme* - et la musique de transe qui l’accompagne - qu’ils transformeront pour assurer sa continuité et survivre dans ce nouveau monde musulman. « Celui qui survit, c’est celui qui s’adapte », dira Darwin. Transplanté dans une nouvelle terre, un arbre doit développer d’autres branches.

r20160704LisaSimone_01En 1961, deux trentenaires Afro-Américains - Nina Simone et Randy Weston - voyagent avec d’autres musiciens vers cette Afrique ancestrale à la recherche de leurs racines, de la puissance d’une musique qu’ils pressentent primordiale dans leur quête artistique. A Tanger, Weston, le pianiste de Brooklin, se plonge dans cette musique gnawa, trouvant dans ce savant archaïsme le fondement d’un jazz hybride qui est sa marque de fabrique. Nina Simone quant à elle enracinera certainement plus profondément encore la conscience civique raciale qui sera le cœur de son engagement jusqu’à la fin.

En recherche d’identité, nous sommes souvent  enclins à invoquer les Ancêtres, mais il faut une certaine maturité pour accepter vraiment cet héritage, non comme un vêtement mal taillé que l’on porterait par conviction - voire superstition - mais comme une sève profonde qui nous irrigue et se ré-oxygène à notre jeunesse. Pour Lisa Simone, le manteau était trop lourd à porter, et aujourd’hui encore, il semble juste apprivoisé. Mais le changement est en route. J’avais découvert - lors de l’hommage fait à sa mère en 2009 - une quadra tourmentée, troublante d’adolescence aux côtés d’autres femmes - Diana Reeves, Angélique Kidjo,  Lizz Wright - dans cet émouvant gynécée. La quinqua d’aujourd’hui a mûri, habitée d’un fantôme apprivoisé dans l’apprentissage de l’absence et de l’héritage. Elle papillonne encore, oscillant entre groove et pop, mais semble avoir prêté à sa voix une autre douceur, une jeune profondeur enfin assumée loin de l’hystérie qui semblait la posséder. Devenir adulte, c’est être libre de faire ce que l’on veut, même si c’est ce que voulaient nos parents.

A 90 ans, Randy Weston est d’un autre bois. Chez lui, l’invocation des ancêtres est permanente, une mélopée riche, un encens épais et enivrant attisé par les percussions chamaniques de Neil Clarke ou la contrebasse viscérale d’Alex Blake. Sur cette transe suspendue, les soufflants* s’envolent comme des cris d’opium. C’est l’Afrique, et c’est une leçon de pur jazz, un syncrétisme absolu qui passe en revue le plus pur blues ou le plus parfait swing, couleur latino comprise. Ce que la musique gnawa a apporté à Randy Weston, c’est l’expérience de l’adorcisme: une possession acceptée et cultivée qui se choisit et nous libère. Pour Lisa, il faut encore cicatriser l’exorcisme avec cette certitude: les fantômes peuvent être bienveillants.

*possession acceptée et cultivée

** TD Blue au sax alto et Billy Harper au ténor.

r20160704LisaSimone_HerveSambReggieWashingtonLisa SimoneSonnyTroupeHervé Samb, Reggie Washington, Lisa Simone & Sonny Troupé