Misc. Jardin divers

Misc. Jardin divers

 

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William Côté

Ça pourrait être une chanson d’Henri Salvador ou de Francis Cabrel, une nostalgie d’hors-saison. Les cafetiers ont tiré le rideau, désœuvrés face au calme inaccoutumé de la terrasse de Cybèle. Pas de brouhaha réjouissant, ce doux bruit de foire qui sonne le bon aloi. Sous le barnum d’un traiteur, les invités frigorifiés de ce qui aurait du être LE coup de pub d’une petite entreprise dynamique suçotent des petits fours gélatineux.  Une trentenaire dynamique, peau bronzée et chair de poule, lance un « qui reprend du rosé? » dans un numéro blasé de clown triste. La pluie a nettoyé le temple de ses marchands, rendant la scène du jardin archéologique à son légitime récipiendaire: le festival off et son éclectique programmation. Derrière quelques palissades de fortune, les fidèles artisans du back stage - pardon: les coulisses - assurent crânement leur poste.  Tandis que les techniciens bardent de sacs en plastique les câbles de sonorisation, surveillant du coin de l’œil la direction du vent, les bénévoles rangent les verres vides, rechargent les frigos, arrangent le petit village convivial improvisé entre les algécos. Une décoration de campement romain, récupérée sans doute après la dernière fête gallo-romaine, orne fièrement les piquets de l’auvent de fortune sous lequel une fontaine un peu kitch brumise avec élégance et conviction.

La Scène de Cybèle, c’est le dernier retranchement où se perpétue l’esprit premier du festival. Assis face aux musiciens, une quarantaine de mélomanes passionnés montent la garde, pressés sous les parapluies ou emmaillotés dans les ponchos de pvc - la tenue de combat du vrai festivalier. Oublieux des intempéries, ils boivent le jazz délicieux des Québécois de Misc, un juste équilibre entre lyrisme et grands espaces, punch et délicatesse. Dans « Respirer sous l’eau« , c’est Philippe Leduc, le premier, qui plonge le long du manche de sa contrebasse. Un envol ample, élan suspendu, profonde inspiration entre ciel et mer. Le piano tinte, cristal à la surface de l’eau qui précède l’éclaboussure. A la batterie, William Côté fait les premières brasses, sans forcer, comme on se laisse couler dans les premières profondeurs, jouissant de la caresse de l’eau. Et, d’un coup, le piano de Jérôme Beaulieu nous fait ouvrir les yeux dans un jazz lumineux, de l’autre côté du miroir liquide. Devant nous, la surface luisante du sol détrempé s’étale comme un océan et nous renvoie l’image du trio, voyageur d’une Atlantide protéiforme et poétique, un univers miscellaneous*,  raffiné, complice et décomplexé. Et nous plongeons nous aussi, tandis que la pluie ruisselle à travers le vélum poreux, glissant vers leurs profondeurs comme on s’abandonne au chant des sirènes.  Sur la scène, tel un Sisyphe océanique, un technicien armé d’une raclette repousse vers le large les vagues qui lèchent le matériel d’un peu trop près. Alors, après que leur chant s’éteint en une dernière écume, les bravos enthousiastes déferlent des gradins, claquant joyeusement comme s’entrechoquent et se dressent les pans de banquise, lors du dégel du Saint-Laurent. « Divers », « Miscellaneous », merveille de paysages, à l’image des multiples facettes de la programmation d’une scène trop souvent considérée comme secondaire. Là-haut, au « château »*, la foule attend l’accalmie annoncée pour acclamer Seal, la pop star du jour. Ici, face à nous, les trois Tritons sortent des vagues, solaires et ruisselants, offrant à leur public - vous êtes vraiment des guerriers - le sourire lumineux de ceux qui vivent pour la musique. Les voyageurs sont venus avec un cadeau. Nous l’avons bien mérité.

*Misc, abrégé du mot anglais miscellaneous : divers, mélangé.

*le château, nom affectueux donné par les techniciens à la grande scène du théâtre antique.

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MISC :Jérôme Beaulieu, Philippe Leduc & William Coté (2015)