Melody Gardot
« Tomates moches : 1€50 »
Voilà, c’est ça qu’il me faut ! Des fruits cabossés de toutes les couleurs, fendus parfois, à deux doigts d’exploser. Peu de chance qu’ils arrivent entiers à la maison, mais ça m’est égal. C’est pour ces tomates-là que je descends immanquablement sur le marché du samedi au petit matin, avant la cohue, même si la nuit à été trop courte – et Dieu sait qu’elles le sont en période de festival ! Une fois rentré, quand la maison dort encore, je déverse mon panier dans le frigo en mettant dans une assiette les tomates les plus abimées. La peau s’en va toute seule. Un filet d’huile d’olive, une feuille de basilic du jardin, et le tour est joué. La chair est onctueuse, parfumée, fondante à souhait. C’est pour moi le plus exquis des petits-déjeuners.
Rien à voir avec les tomates en plastique, ces fruits calibrés, parfaits, qui sentent la grappe plus que la tomate, et qui ont une saveur inversement proportionnelle à leur perfection tape-à-l’œil. Sur les étals, la beauté est parfois trompeuse. Longue vie aux moches !
N’allez pourtant pas croire que la beauté m’est indifférente. Bien au contraire ! Mais je ne suis pas fan des photos de mode. Or le look de Parisienne qu’arbore ce soir Melody Gardot tranche franchement avec celui, plus indolent, de sa précédente apparition viennoise. Plus de turbans ni de longs tissus indiens, point non plus de décor foisonnant baigné de lumière safran. Pour dire son amour de la France, la belle Américaine a choisi le look mondain de la capitale : blonde chevelure ondulante, tailleur chic, pantalon cigarette et chaussures à talons, idéal pour recevoir Rima Abdul Malak, la ministre de la Culture qui s’est invitée pour l’occasion. En bonne maîtresse de cérémonie, la chanteuse s’adresse généreusement au public - et en français, s’il vous plait, la grande classe ! Sa collaboration avec le pianiste français Philippe Powell (1) est très réussie. Compositions originales ou standards, tout sonne merveilleusement, porté par la voix grave et sensuelle de Melody et le talent indiscutable des musiciens. Pourtant, je reste sur ma faim, cherchant l’émotion dans ce trop lisse easy listening (2). La star, pourtant affable, me semble inaccessible et, pour la musique, j’ai besoin d’être touché. Ici, au contraire, j’ai la sensation d’être un intrus, décalé - comme souvent - en sandales au milieu d’un pince-fesse.
Paris n’est pas la France, et je regrette d’avoir été dépouillé de la Melody Gardot d’avant, plus mystérieuse certes, mais qui avait su me troubler. Peut-être avec l’âge, retrouvera-t-elle le goût du soleil, pas celui des yachts de la Côte d’Azur, mais celui qui scintille entre les feuilles de platanes, dessinant des papillons dorés sur les étals du marché. Allez-y ! Vous y trouverez des fruits délicieux. Parfois moches, mais délicieux.
(1) Fils du grand musicien brésilien Baden Powell
(2) Easy listening : écoute facile. On utilise aussi l’expression plus douteuse de « musique d’ascenseur ».
Melody Gardot, Melody Gardot, Melody Gardot & Melody Gardot