Juan Carmona septet. Le dompteur de vague.

Juan Carmona septet. Le dompteur de vague.
Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Juan Carmona

Concert du 3 juillet 2019 à Jazz à Vienne.

Crayon noir & Posca sur Kraft.

Ce souvenir m’est revenu d’un coup. Le large panorama des Alpes suisses, une pâture verdoyante et  cet homme, le gilet de berger sur un dos immense arqué par l’effort, imprimant à la corde un cercle gigantesque. Et d’un coup, le claquement du fouet, la montagne qui retentit de ce bruit supersonique, et le silence médusé qui précède les acclamations de la foule, tandis que le Geisslenschlöpfer (1) ramène ses presque cinq mètres de lanière.

La main de Juan Carmona s’est figée en l’air, au dernier claquement sec de la guitare flamenca, au-dessus d’un tel  fracas de cordes qu’il paraît impossible qu’aucune n’ait pu résister à la gifle. Jaillissant du cercle du septet, le sang gitan pulse sur la scène, une lame de fond sombre comme une obsidienne et dont on voir friser l’écume, la clarté de la crête qui débaroule sous les doigts du guitariste tandis que la musique se cabre, que le rouleau se forme et s’étire à la limite de la transparence, là où l’émeraude des profondeurs prend la clarté tranchante de la jade. On attend la déferlante, la juste fin d’une phrase tendue comme un arc, à ce point ciselée que j’en sens presque le fil. Mais le rouleau s’est arrondi,  laissant présager d’un suivant plus puissant encore, et qu’appellent les palmas, ces claquements de mains clairs comme le chant du feu. Sur le dos de la vague, un danseur s’est dressé. Il salue l’océan qu’il vient dompter - l’adversaire force le respect. Flattant le cheval sauvage qui galope sous les doigts des musiciens, il prend sa mesure. Et soudain, il s’envole, virevoltant sur son échine, frappant sans pitié le plancher de la scène, éclaboussant la colline de Pipet dans le grondement de son zapateado, cette danse qui ressemble autant aux claquettes qu’un mustang au poney de cirque. Tout se cambre dans cette musique fière et animale: le cri d’entrailles du cante jondo répond au phrasé staccato des guitaristes, la flûte serpentine épouse la silhouette du danseur qui s’étire, tournoie, bénissant le cercle d’une sueur lumineuse, inépuisable goupillon vivant. Et lorsqu’enfin il a dompté ce feu, il se fige dans un dernier claquement de talons, bras tendus, écartelé vers la brûlure de cette musique qui ne connaît pas la demi-mesure, saluant le cercle comme on sort de l’arène, dans le tumulte des bravos qui déferle de la colline.

Cambre-toi, beau gosse!

(1) Claqueur de fouet. En Suisse, la tradition du Geisslenschlöpfer est liée à la fin de l’hiver.

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Sergio Aranda et les »Palmas ». Crayon noir & Posca sur Kraft.

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Sergio Aranda . Crayon noir & Posca sur Kraft.