Jamie Cullum
Crayon noir & Posca sur Kraft.
Qu’est-ce qui fait la différence ?
C’est vrai, après deux semaines de festival, on peut se poser la question : pourquoi aller s’entasser sur des gradins inconfortables, poireauter pendant des heures sous le soleil caniculaire, chercher désespérément une place de parking alors qu’on pourrait être tranquillement dans son fauteuil, un verre de bon vin à la main pour écouter son artiste préféré avec une qualité de son incomparable. C’est quoi, la différence ?
Pourquoi aller au cinéma quand un abonnement Netflix vous garantit films et séries à profusion ? Pourquoi assister à un concert quand il suffit de cliquer sur Youtube ? Pourquoi se déplacer pour applaudir un humoriste, une comédienne, un danseur, une acrobate, quand il suffit d’attendre que les spectacles arrivent en pièces détachées sur Facebook ? Et gratuitement, en plus !
Le spectacle vivant est mis à mal – l’éternelle précarité du saltimbanque, ce fainéant qui vit aux crochets du bourgeois. Son crime : créer l’émotion, toucher, chuchoter, caresser, faire rire, enthousiasmer, emporter tous nos sens, illuminer, réveiller notre part la plus vivante, la plus généreuse, toutes choses inquantifiables pour le calcul du PIB. Alors, il faut remercier tous ces artistes du vivant, il faut aller voir Jamie Cullum encore une fois, même si cela ressemble furieusement à son dernier concert. Il le faut pour rendre justice à sa générosité lorsqu’il communie avec le public, à ce lien stupéfiant qu’il crée avec ses spectateurs, du premier rang de la fosse jusqu’au dernier gradin caché tout là-haut, dans la nuit de Vienne. Bien sûr, il est talentueux, très ! Parfait crooner avec ce grain de voix qui donne la juste imperfection, il est capable de marier les styles avec une même réussite, une invisible maîtrise sans aucune outrecuidance. Bien sûr, jonglant entre le piano et le centre de la scène, son show est réglé comme une horloge, une merveille de fine mécanique, une sensation de plan-séquence (1) continu, sans que jamais rien ne déraille. Mais toujours dans ce spectacle millimétré, il reste la place de la rencontre, un espace de libre expression où il va nous chercher. Parfait démiurge, inlassable arpenteur, il se penche sur chacun, interpelle la foule, descend dans la fosse, touche l’enfant qu’on lui tend. La voilà la différence ! Voilà ce que nous ne connaîtrons jamais en restant dans le confort de notre confinement. Voilà aussi ce qui me pousse à écrire ce que peu liront, parce que je veux essayer de vous transmettre ces émotions. Nul besoin d’être savant pour cela.
Acclamé longuement, Jamie Cullum chante un dernier rappel, ce titre tout simple de Dinah Washington qui se fredonne en contemplant le monde, chaque matin, chaque soir. « What a diff’rence a Day makes ?» (2), interroge-t-il. Pourquoi ce jour est-il différent ?
Et sa réponse sonne comme une évidence : « The diff’rence is YOU ! » (3)
(1) Plan-séquence : au cinéma, prise de vue unique qui circule sur plusieurs endroits d’un même lieu sans aucune coupure, en une action continue.
(2) Écouter Dinah Washington. Écouter Jamie Cullum.
(3) La différence, c’est toi/vous