Hugh Coltman. Smile.

Hugh Coltman. Smile.

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Gaël Rakotondrabe, Hugh Coltman, Christophe Mink, Thomas Naim & Raphaël Chassin

 

 

Mon grand-père avait un don, certainement travaillé, qui fascinait les enfants: il faisait bouger ses oreilles! Et plus encore, usant d’une savante gymnastique du visage, les muscles de son crâne baladaient son béret d’avant en arrière, ce qui déclenchait immanquablement les rires de ses nombreux petits-enfants. Je reste passionnément amoureux de ces visages sculptés par la vie, pommes ridées, pattes d’oies, fines ridules ou larges sillons qui sont autant de coups de gouge  dans le masque de la jeunesse et qui dégagent jour après jour la beauté profonde des gens. Ils disent la force comme l’épreuve, la joie comme la tristesse et aussi l’indifférence ou le mépris, ce refus de communiquer qui finit par fermer ce miroir - mon beau miroir - au regard de l’autre. Dans la fascination de notre beauté, il nous arrive aussi de lutter dès l’apparition des premiers symptômes contre cette marque du temps qui fait obstacle à notre éternité, à coups de crèmes d’avocat, de carotte, concombre,  tout un potager d’artifices pour combler les sillons du jardin de notre âme. Les couvertures de magazine se couvrent de stars botoxisées , le visage figé dans un éternel sourire publicitaire, l’éternel canular de la beauté du diable.

Hoax, c’est le mot que l’on utilise dans notre monde hyper connecté pour désigner le canular qui circule sur le net, fausse-vraie info relayée en un éclair par les réseaux sociaux où celui qui crie le plus fort a forcément raison.  Il semblerait que ce mot anglais soit apparu à la fin du XVIIIe siècle, une contraction du verbe hocus qui signifie « tricher », « embrouiller », en relation avec l’incantation hocus pocus, sorte d’abracadabra destiné à distraire le spectateur pendant la réalisation d’un tour. The Hoax  c’est aussi le nom du groupe de  rock blues que Hugh Coltman forme en 1991 aux côtés de Jesse et Robin Davey, Jon Amor et Mark Barrett. Une saine autodérision.

L’autodérision nous rend humains, elle gomme les artifices et brise les glaces, décape nos masques et ouvre les cœurs. Elle s’affiche comme une seconde peau sur le visage de crooner de Hugh Coltman, façonné par le jeu d’expressions qui fait beaucoup de son charme. Il se lit sur le visage de ce faussaire autoproclamé une profonde tendresse, un art de l’empathie, cette capacité de vous prendre au cœur indispensable au « chanteur qui fredonne »*. Il s’identifie en ce sens parfaitement à celui qu’il honore dans son dernier album, Nat King Cole, l’éternel sourire du jazz vocal masculin. Car pour « crouner », il faut sourire, chanter à voix douce, faire parler le grain de sa voix - la caresse a besoin de grain. La voix de Hugh a du grain - une délicieuse rugosité de bluesman - mais elle sait aussi s’envoler, rugir, gémir, proclamer ou chuchoter, tout un monde expressif qui n’est pas sans rappeler l’humanité du grand Jaques. Le répertoire de King Cole s’en trouve agréablement secoué, déglacé comme une poêle après flambage, un nouveau suc qui réveille une viande endormie. Tout à son service, son combo fait merveille; le piano fluide de Gaël Rakotondrabe, la contrebasse souple de Christophe Mink, la batterie sobre de Raphael Chassin et la guitare très bluesy de Thomas Naim, tous concourent à une musique narrative, un brin canaille, à l’image du look dandy-fin-de-soirée que semble affectionner le chanteur. Sur son clip de Smile, le tube de Nat King Cole écrit sur la musique de Chaplin, il est seul dans un bar. Un cadre qui pourrait évoquer une toile de Hooper s’il n’y avait le bruissement de la ville, un papillonnement de visages qui s’éclairent doucement d’un sourire pendant qu’il chante.

 

« Souris quand ton cœur a mal

Souris même quand tout se brise

Tu vas trouver que la vie en vaut la peine

Si tu souris simplement. »

 

Le visage du faux-faussaire se creuse, se modèle, miroir sans fard d’un homme habité.  Je laisse gambader sans façon mes zygomatiques; tant pis pour mon visage de jeune premier (smiley). Tout à l’heure, la star du soir, Diana Krall, viendra exhiber sa performance de vamp distante. Je sais qu’il n’y aura plus l’émotion de la première fois. Le diable se déguise toujours de perfection. L’humanité, elle, se laisse chiffonner par le sourire.

*c’est le sens du mot crooner.

 

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