Belmondo Quintet. En mémoire.

Belmondo Quintet. En mémoire.
Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Éric Legnini, Stéphane Belmondo (trace de Lionel Belmondo).

Concert du 8 juillet 2021 à Jazz à Vienne.

Crayon noir & Posca sur kraft

Peut-être, un jour, arriverai-je de nouveau à chanter. Aujourd’hui, cela m’est impossible. Je parle du chant profond, celui qui sollicite l’âme. Bien sûr, je peux tenir une harmonie, interpréter un air, pousser la chansonnette avec plus ou moins de réussite. Mais pour peu que la musique soit associée à un souvenir, une image, un film, une personne aimée, des paroles, et la mémoire me joue des tours. Je suis totalement démuni lorsqu’il s’agit de transmettre une émotion. Celle-ci me submerge immanquablement. C’est un état qui s’est renforcé avec le temps et qui touche, je crois, à notre finitude, l’expérience du bonheur et du deuil.

 

Est-ce d’avoir trop ri que leur voix se lézarde

Quand ils parlent d’hier

Et d’avoir trop pleuré que des larmes encore

Leur perlent aux paupières (1)

 

Le Grand Jacques a su mettre sur mon histoire ces mots magnifiques. Heureusement, d’autres aussi, comme lui, savent chanter pour moi, dire mes paroles, clamer mon bonheur, évoquer ceux que j’aime. Je leur en sais gré : ils font de moi un être vivant, de joie et de tristesse, d’oubli et de mémoire.

Le saxophoniste baryton Yvan Belmondo s’est éteint en décembre 2019. Dans un entretien avec ses fils Lionel et Stéphane (2), il disait ne pas se rappeler du temps où il ne faisait pas de musique. Probablement les attend-il pour continuer le concert. « On a beaucoup de temps, disait Lionel, et si on n’arrive pas à le faire dans cette vie, on le fera dans celle d’après, ou dans une autre. » Les deux frères continuent donc, en faisant mémoire de leur père avec ce qui les unissait profondément, et leur musique dit, sans nul besoin de paroles, cette part d’éternité que nous offrons aux absents. Song for Dad, écrit par Lionel, est cet hommage universel - « pour tous les papas et ceux qui sont dans vos cœurs » - dont les musiciens ont ensemencé l’histoire.

Si la collaboration des deux frères est déjà ancienne (3), ils ne l’ont jamais considérée comme allant de soi. Il faut choisir sa famille, disait leur grand-père. Les choses arrivent quand elles doivent arriver. Ils se retrouvent aujourd’hui au sein de leur quintette pour défendre cette idée de Brotherhood (4), cette fraternité spirituelle qu’ils partagent avec les musiciens de leur formation. La présence à leurs côtés d’Éric Legnini et de Sylvain Romano (5) est d’évidence. Le pianiste excelle dans l’art du contrechant, créant - par un jeu de complicité - une légèreté de grande élégance. Romano, qui tient sa contrebasse tournée vers lui, sait chanter comme personne. Maître du son et de la projection - dixit Stéphane - il crée un continuo de constante inventivité. Avec Legnini, ils composent une harmonie en creux idéale pour l’expressivité des deux soufflants. Même si c’est souvent le lyrisme véloce des Belmondo qui fait mouche, c’est surtout dans les ballades que la formation dit le meilleur de cette fraternité. La raison en est aussi le timbre, Stéphane délaissant à cet effet la clarté de la trompette pour le feutré du bugle.

En écoutant le chant voilé du cuivre sur Song for Dad (6), je mesure la chance que nous avons tous de partager cette fraternité. La musique ? Un produit de première nécessité ! Pouvoir s’abandonner au chant de l’autre, laisser nos fêlures rejoindre le bercement du bugle, lâcher les rênes de notre âme, et la laisser nous habiter. La plénitude offerte.

Par le tumulte ou le silence, la mémoire ou l’oubli.

 

(1) « Les vieux ». Jacques Brel. (1963 Barclay)

(2) Belmondo Family Sextet. Ep.1. Discographe. 2013. Voir la vidéo

(3) Pour la première fois en 1993 à St-Germain-des-Prés.

(4) Brotherhood, Fraternité, leur dernier album.

(5) Avec Laurent Robin à la batterie

(6) Écouter Song for Dad