Ana Carla Maza. Le cavalier parfait.

Ana Carla Maza. Le cavalier parfait.
Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Ana Carla Maza

Crayon noir & Posca sur Kraft.

 

Au beau milieu de la scène, Ana m’a saisi d’un geste décidé et m’a plaqué contre son sein. Je sens ses cheveux fouetter mes épaules tandis qu’elle me fait tanguer au rythme de la rumba. Emportée par les percussions des musiciens, ses doigts tapotent en cadence sur mon dos, baguettes fines et musclées qui me font frémir – il faudrait être de marbre ! D’un coup, elle lève nos bras, me fait tournoyer sur l’axe de ma jambe et enroule ses cuisses autour de mes flancs. La danse reprend de plus belle. Elle chante, encourage la foule, cabotine, m’offre une longue caresse qui déclenche les bravos des spectateurs et me fait gémir de plaisir.

Moi, je viens plutôt d’un milieu classique ; dans la famille, on a surtout des Jean-Sébastien, Antonio, Johannes, Robert, Ludwig, un milieu qu’Ana Carla connaît bien. On ne le croirait pas, mais elle a même étudié à la Sorbonne ! Mais cette fille, c’est du feu ! Bien sûr, quand on est née à Cuba, on a été bercée par les rythmes de la rumba, et « rumba », en espagnol, ça veut dire « la fête » ! Alors autant vous dire que dans notre relation, les moments de slow sont plutôt rares. Dommage d’ailleurs, car j’aime beaucoup quand elle ferme les yeux et qu’elle s’abandonne à la musique, la main gauche pressée contre ma nuque tandis qu’elle glisse son bras droit le long de mon corps. Les boucles de sa chevelure sombre forment sur sa joue de douces arabesques, comme des appoggiatures pour faire durer l’instant. Ceux qui nous entourent à ce moment sont à chaque fois étonnés qu’une fille aussi explosive puisse exprimer tant de douceur quand elle me prend dans ses bras. Mais moi qui passe beaucoup de temps avec elle, je sais ce qu’elle est. L’eau et le feu, tout à la fois. Et c’est ce que j’aime en elle.

Si je ne l’avais pas suivie, je crois qu’elle aurait continué sans moi. Mais elle a su me convaincre, m’apprendre les pas, me faire danser autrement avec elle, à la fois marquer les temps – j’ai une très belle voix de basse ! – et devenir léger sur les contre-temps, un orchestre à moi tout seul. Sans vouloir me vanter, je suis devenu le cavalier parfait. Parfois, on pourrait penser que dans notre couple il n’y en a que pour elle, mais je sais que je suis une partie d’elle, son ventre, ses tripes, sa peau, son compagnon de la fête comme du silence. Vous savez, ces silences habités où parler est sans importance. Et si elle est capable d’emporter les foules dans un éclat de rire, je sens que cette joie est profonde, un amour de la musique et de la danse qu’elle veut partager avec tous.

Alors, sur la scène du théâtre antique de Vienne, emporté par la rumba et les vivats qui fusent de la fosse, je donne tout ce que j’ai. Entre les bras d’Ana Carla Maza, je suis le violoncelle le plus heureux du monde.