Xavier Thollard en concert au lever du jour sur le belvédère de Pipet.
29 juin 2025. Acrylique sur toile. 80 x 80 cm.
Je l’ai senti dans mon dos avant de le voir, une large bande dorée qui inonde mes épaules, presque brûlante sous ma blouse noire de peintre. Le soleil s’est hissé depuis la face cachée de la colline de Pipet, ultime barrière à l’est quand il a réveillé les Terres Froides avant de plonger dans la déchirure de la Vallée du Rhône. À l’ouest, derrière le piano qui trône le long du parapet, les crêtes du massif du Pilat ont déjà reçu leurs premières lumières. Mais, jusque-là, Xavier Thollard est resté masqué au soleil levant, presque confondu avec le grand instrument laqué dont le capot se zèbre déjà des premiers reflets de l’aube. Plongé sur son clavier, le pianiste semble triturer une complexe mécanique, virevoltante machine dont il tire un matériau musical foisonnant, presque graphique, un trop-plein d’où s’échappe une maîtrise stupéfiante de l’héritage classique. Je reconnais, entre deux vagues, les citations des maîtres (1) – Monk, Peterson, Petrucciani, Jarrett – mais aussi la nostalgie des premières études, la simplicité déconcertante de la Sicilienne de Bach (2), cette douce pièce pour flûte – une berceuse, presque – que je jouais dans mon enfance. Les notes semblent s’architecturer sous ses doigts comme la feuille d’un origami, pliure après pliure, dans une construction fascinante encore invisible à nos yeux.
Et d’un coup, son piano s’enflamme. Le soleil a plongé dans le coffre d’obsidienne, révélant les entrailles bouillonnantes de l’instrument, ce squelette doré d’où les cordes respirent, troublant animal mystérieux. Le visage du pianiste est plongé dans cette incandescence, occupé à extirper la musique du magma. Il brûle, au centre du creuset, continuant sans relâche sa tâche de chercheur d’or, insensible au feu soudain vers lequel converge le regard du public, des premières chaises longues sur lesquelles se sont installés les plus chanceux jusqu’aux enrochements de la statue de la Vierge où s’agglutinent les derniers arrivés. Je plonge mon pinceau dans l’orange de ma palette et pose cette éclaboussure sur ma toile qui n’attendait que ça. L’or chante, virevolte, s’envole dans l’indigo du matin, dernier feu du guetteur avant la relève. En bas, Vienne s’éveille. Xavier Thollard achève bientôt son concert. La journée Marathon du festival Jazz à Vienne vient de commencer.
(1) Dans son album « Ostinatos Piano Solo » (Parallel records, mars 2022), Xavier Thollard revisite le répertoire pianistique jazz, classique, pop…
(2) Second mouvement de la sonate pour flûte de J. S. Bach, BWV 1031.