Jacob Collier. Avatar & ubiquité.

Jacob Collier. Avatar & ubiquité.

r20160702_JacobCollier_00Jacob Jacob Collier, Jacob Collier, Jacob Collier, Jacob Collier, Jacob Collier & Jacob Collier.

 

Jacob4 Beam s’est installé au milieu des autres étudiants. Un drôle d’engin au look d’aspirateur sans tuyau auquel on aurait greffé les bras d’une tondeuse. Sur l’écran qui sert de tête au petit droïde, le visage de Simon s’affiche. Grâce à lui, il peut suivre les cours de l’Ecole Centrale de Lyon depuis son lit d’hôpital où il se répare d’un grave accident de montagne. Simon réalise ici l’un de nos plus grands fantasmes: avoir le don d’ubiquité. En 2009, un autre accidenté, sur le grand écran, retrouvait l’usage de ses membres par technologie interposée. Jake Sully, marine paraplégique, ouvre les yeux dans la peau bleue de son Avatar et propulse le film de James Cameron vers le succès. Jacob2Pour ceux qui se sont toujours demandé pourquoi les Na’vis avaient cette belle couleur des Schtroumf, il est utile de rappeler l’origine du mot avatar, un mot sanskrit qui veut dire « descente »- c’est à dire, dans la religion indoue, la réincarnation d’un dieu venu sur terre rétablir le dharma, l’équilibre perturbé par les démons. Le plus célèbre des avatars de Vishnu est très reconnaissable à la couleur de sa peau puisque Krishna veut dire » bleu-noir ». En projetant ces fiers et indigo écolos new-age en 3D, Cameron faisait par ailleurs entrer le grand public de plein pied dans la grande affaire du monde moderne, l’ubiquité. Nous lui avons donné un autre nom: la réalité virtuelle.

Jacob5Sur l’écran de mon ordinateur, le visage de Jacob Collier s’affiche en multiplex, chacun des huit visages de ce jeune prodige de 21 ans chantant l’une des parties de son Georgia on my Mind, la reprise du tube de Ray Charles. Ce génial touche-à-tout, multi-instrumentiste, a fait ses débuts sur le net en publiant dès 2011 sur You Tube ses performances vidéos, avant d’être repéré par Quincy Jones, entre autres. Il n’est pas le seul à user de cet artifice, et si la vidéo est entrée récemment dans la danse, l’enregistrement audio en rere - re-recording, c’est à dire piste par piste - est utilisé depuis longtemps par les artistes, plus encore depuis qu’Apple livre ses appareils équipés d’origine de Garage Band, un logiciel d’enregistrement musical sur lequel n’importe quel amateur peut maquetter une esbroufe tout-à-Jacob1fait convaincante. Curieusement, en montant sur scène, c’est la performance inverse à laquelle le jeune Britannique est confronté: reproduire dans le même espace temps ce que la technologie permettait de faire lentement sans se presser. Soyons clair: ce côté-là du défi est relevé haut la main, la technique permettant là aussi de jouer avec les effets de boucle - et grâce à l’aide d’un ami discret qui surveille la sauce en coulisse. Grâce aussi à une voix remarquable associée à un réel talent d’arrangeur et d’harmoniste, soutenu par une culture Jacob3musicale indéniable. Mais on se prend à rêver à la vraie vie, celle que l’on savoure en silence sur une terrasse caressée par la nuit d’été lorsqu’un ami  se glisse derrière le piano pour inviter l’un ou l’autre à chanter. Il se crée alors un frisson qui nous fait vibrer plus profondément que devant la performance puissante de Collier, la saveur d’une réalité-réelle, avec d’autres amis que ceux de facebook, de ceux que nous avons la chance d’avoir à nos côtés et qui sont le vrai luxe de nos rencontres. Maintenant qu’il est entré dans la cour des grands, le jeune Jacob Collier peut délaisser l’artifice. Gageons que ses mentors ne manqueront pas de le lui suggérer. A choisir entre les deux côtés du miroir, je préfère le sujet au reflet. Même s’il est moins séduisant.