Goran Bregovic. Mariages & Enterrements

Goran Bregovic. Mariages & Enterrements

r20160701_GoranBregovicMuharemRedzepiMuharem Redzepi & Goran Bregovic

 

« Il faut absolument que nous préparions la célébration de nos funérailles. » C’est un refrain récurrent que nous échangeons, ma femme et moi, après nombre de cérémonies funéraires, tant il nous semble évident que les proches n’ont jamais le temps de s’en occuper au mieux, noyés dans l’urgence subite de l’évènement. A contrario, les mariages sont préparés pendant de longs mois. Rien n’est laissé au hasard. On réserve le DJ pour la soirée, voire un petit combo jazz pour l’apéritif, une chorale pour la messe. Pour peu que l’un des mariés fasse partie d’un orchestre ou d’un chœur, et c’est toute une troupe joyeuse qui vient adouber les mariés, comme pour ce mariage dans le Jura où j’étais engagé dernièrement comme reporter-dessinateur. Notre famille étant, elle aussi, largement pourvue de musiciens, c’est bien souvent l’occasion de jouer ensemble soit l’un des nombreux tubes de la musique religieuse, soit la pièce que l’un ou l’autre aura composée pour l’occasion.

rMarionRudi_20160611_eglise_02Cependant - et curieusement -  le répertoire du mariage est bien souvent limité à la sempiternelle Marche Nuptiale de Mendelssohn, quand la musique classique regorge de lamentos, requiems et autres pièces de tristesse, véritables chefs d’œuvre composés en prévision des funérailles des grands de la terre. Ainsi, il y a une grande différence, dans notre société, entre la façon dont nous appréhendons les deux cérémonies. La faute, je crois, à l’étiolement d’un sens du sacré qui rythmait autrefois les étapes de l’existence: naissance, mariage, mort. Il suffit pourtant d’interroger les traditions populaires de la Terre pour constater combien les différentes cultures ont enraciné la musique dans les rites de passage. Mais si toutes les civilisations ont conservé peu ou prou les musiques de fête, le chant funéraire a quasiment disparu chez nous, mis à part la tradition corse du vocero. Pourtant, c’est dans cette cérémonie de l’à Dieu que nous pouvons transmettre notre vision, le sens que nous donnons à la vie, que nous croyions à un Au-delà ou non, que ce soit un regard vers l’avant ou vers l’arrière.

J’aime profondément la tradition du jazz funeral, cette marche d’obsèques de la Nouvelle Orléans qui commence comme une marche funèbre et se termine comme une fête, ce « petit pas avec Toi »* qui se transforme en une grande danse avec tous, cette douleur partagée - le sens de la con-doléance - qui devient espoir et force de cette vie que nous portons tous, cette communauté humaine solidaire et vibrante.

La formation de Goran Bregovic ne fait pas de distinguo: Orchestre des Mariages et des Enterrements. Bien sûr, il reste probablement bien peu du prétexte de départ - un orchestre traditionnel folklorique - mais en réunissant les percussions, cuivres, cordes et chanteurs balkaniques, il crée un orchestre de caractère, ambassadeur d’une culture vivante qui nous renvoie un peu cruellement à ces traditions dont nous sommes orphelins. Pas de starlettes du côté des chanteuses, mais de solides mamas en costume fleuri, de ces femmes qui assurent la constance racinaire d’un peuple, du youyou des Arabes au gospel des Afro-Américaines. En pendant, vêtus de smoking, le visage à peine éclairé, les solistes des chœurs bulgares apportent leur profondeur slave, un écho des chœurs orthodoxes emprunts d’une gravité toute religieuse. Pour lier profane et sacré, la rythmique de Bregovic fait son affaire, portée par la bourrasque des cuivres qui n’est pas sans rappeler les sonneurs bretons. Dans la vie ou la mort, la Terre resserre ses branches vers un langage universel. Qu’avons-nous fait du nôtre?

* »Just a closer walk with Thee », hymne gospel joué traditionnellement par les orchestres d’enterrement à Nolo.

Illustration centrale: Orchestre d’harmonie pendant un mariage dans le Jura.

r20160701_GoranBregovicChoeurCuivresLumila Radkova-Trajkova & Daniela Radkova-Alexandrova