Joyful & Tonya Baker. Abondance & pauvreté.

Joyful & Tonya Baker. Abondance & pauvreté.

 

 

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Tonya Baker

« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour. »

Cette phrase du Notre Père, la prière de tous les Chrétiens, prend une signification particulièrement actuelle dans notre monde capitaliste où l’objectif de chacun est plutôt de…capitaliser. Évidemment, nos financiers disent que c’est très mauvais pour l’économie, qu’il faut consommer pour relancer la croissance. Étrange paradoxe. On est bien loin du génie de l’appel fondateur. Génial parce qu’il ne se résume pas à une invitation à la paresse - qui en un certain sens peut posséder certaines vertus - mais parce qu’il nous recentre sur l’essentiel. Bien sûr, une gestion de « bon père de famille » est certainement empreinte de sagesse, mais la coupure sur laquelle s’affiche notre fortune n’est jamais qu’un bout de papier, une image, la trace virtuelle de notre labeur. A s’attacher à garantir nos arrières, on perd souvent le sens de ce qui faisait notre sel.

C’est probablement ce qui transparaît dans les concerts de Joyful et Tonya Baker. Deux shows vitaminés où l’enthousiasme supplée la ferveur, où la sincérité fait place au professionnalisme. Si la qualité n’est jamais remise en cause - Tonya Baker possède, à n’en pas douter, l’une des plus belles voix du genre - les show business tourne à plein régime, avec l’industrie qui va avec. Bien sûr, on peut arguer de nécessaires moyens pour une valeureuse mission, mais il semble que la « Bonne Parole » soit ici réduite à un costume éculé. Même la prédication prend le goût des convenances pour un folklore bien rodé, bien loin de l’intensité qu’offre une Lizz McComb. Un folklore, sympathique par ailleurs, c’est aussi la carte de visite de Joyful, le groupe de Crescent City*. Avec la tradition des parades de la Nouvelle-Orléans, ils évoquent cette vie communautaire où chaque évènement de la vie appelle les gens dans la rue, dans cette second line spontanée où tous se retrouvent pour celer une solidarité, une reconnaissance identitaire. C’est émouvant, terriblement humain, mais tristement déraciné. Vienne n’est pas Nolo* et si l’énergie du groupe  gagne le public, je n’y trouve pas grand chose qui me prenne au cœur. Rien de cet espace de silence qui fait sa place à l’Esprit, rien de cette offrande sincère, de ce dépouillement qui ouvre à une autre richesse, rien de la force racinaire d’une culture de l’espoir. Mon Grand-père - qui était un sage - disait: « Ne vous moquez pas des riches: vous ne savez pas ce qui peut vous arriver! » Nous sommes devenus riches, voilà tout. L’Esprit peut mourir, nous savons gérer. Reste le divertissement, puisqu’il faut bien utiliser notre trésor de guerre. Est-ce si grave? Non, rassurez-vous: d’autres ferveurs vibrent ailleurs, d’autres musiciens se nourrissent d’Esprit, d’autres festivals de jazz surgissent, plus petits, moins encombrés, qui s’attachent à promouvoir cette musique vaille que vaille. Chaque jour porte son lot de miracle. Il suffit d’un peu de foi. Et aussi de retrousser un peu ses manches.

*Creschent City (la Cité du Croissant, en rapport avec sa forme) et Nolo : la Nouvelle-Orléans.

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